Il m'a été transmis que mon travail à l'hôpital St Louis était assez difficile à imaginer lorsqu'on se trouvait de l'autre côté de la Méditerranée, ou encore que l'on n'avait jamais travaillé en hôpital ou en maison de retraite. Je vais donc tenter de remédier à ce problème.
Comme je vous l'ai déjà expliqué, l'Hôpital St Louis possède deux services :
Le premier, communément appelé "Side A", est un service de gériatrie, qui accueille donc en majorité des personnes âgées, souvent atteinte de différentes formes de "démences", comme la maladie d'Alzheimer, Parkinson, etc. (Attention, pour les néophytes, le mot « démence » ne signifie pas « folie », mais est un terme technique utilisé pour désigner une perte ou une réduction importante des capacités cognitives, retentissant sur la vie de l'individu et entraînant une perte d'autonomie, avec des atteintes de la mémoire, de l'attention et du langage.) Une autre grande partie des patients de cette aile sont des personnes dans le coma, à différents stades. D'une manière générale, le "side A" est donc un endroit où les patients sont (pour beaucoup) alités en quasi-permanence, et nourris pas sondes. La communication avec ces personnes est relativement restreinte, ou bien passe beaucoup par le toucher et les différents soins qui leur sont procurés au cours de la journée. Les autres patients de ce service (beaucoup moins nombreux) échangent leurs lits pour la chaise roulante pendant la journée, prennent leurs repas "normalement", et sont beaucoup plus en relation avec autrui.
Le second service de l'hôpital est bien sûr le « Side B ». Il s’agit d’un service de soins palliatifs, qui accueille essentiellement des personnes atteintes de divers cancers. Certains arrivent à l’hôpital pour y mourir peu après, mais la majorité arrive surtout ici du fait d’importants besoins d’aide dans les actes de la vie quotidienne comme les déplacements, les repas, la toilette… C’est souvent avec ces patients que le besoin d’apprendre (au moins) quelques mots de leurs langues se fait le plus sentir. Comme je l’ai dit dans un autre article, il y a bien sûr l’hébreu et l’arabe, mais aussi l’anglais, l’espagnol, le yiddish, le russe… et le français ! Ouf pour moi ! Cela fait au moins quelques patients avec qui le contact se fait plus facilement ! Et sinon, on apprend aussi beaucoup à utiliser le langage du corps et surtout à connaitre les habitudes (parfois très précises) de nos patients, ce qui permet de faire baisser peu à peu notre quotas d’engueulades et de les remplacer par des « toda raba » ou « spasiba volshoï » (merci beaucoup) et de beaux sourires qui rendent notre journée tout de suite beaucoup plus belle.
Toute la journée (qui comprend aussi la nuit), plusieurs équipes d’aides-soignant(e)s se relaient pour assurer à ces 54 patients les soins de base nécessaires à la meilleure qualité de vie possible : toilette le matin, changements des vêtements aussi souvent que nécessaire, changements des protections (indispensable aux personnes incapables d’aller aux toilettes elles-mêmes), tourner les personnes qui ne bougent pas elle-même afin d’éviter la formation d’escarres, distribution du formula (liquide nutritif des personnes nourries par sondes), aide aux repas (ou autres) pour les personnes qui mangent par la bouches et mais qui ne le font plus par elles-mêmes, soins de bouche, rasage, soins des ongles… Autant de choses à faire et à renouveler chaque jour ou même plusieurs fois par jours ! Les soins médicaux sont donnés par une équipe d’infirmier(e)s et de médecins qui se relaient eux aussi pour guider les soignants, adapter et distribuer les traitements médicamenteux, faires les pansements et autres actes infirmiers… Enfin, une équipe de « thérapie » gravite autour de toutes ces personnes, avec une diététicienne, une travailleuse sociale, un kiné, une ergo (Nathalie, ma colloc belge !), une art-thérapeute et même parfois une psychomotricienne !! (moi en l’occurrence).
En tant qu’aides-soignants, quand nous arrivons à l’hôpital (le plus souvent soit le matin à 7h, soit l’après midi à 13h), les infirmiers de l’équipe précédente nous font le résumé du « shift » précédemment écoulé en passant en revue tous les patients et les dernières informations importantes pour leur prise en soin. C’est à cette occasion souvent que l’on apprend les décès survenus en notre absence, ce qui arrive finalement assez souvent malheureusement. Ensuite, nous partons avec notre co-équipier pour 6h de travail intensifs où le temps pour discuter avec les patients existe parfois, mais reste malgré tout un luxe. On est donc bien contents de rentrer se reposer en fin de journée ! (même si on a quand même la chance de ne pas travailler sur 12h comme à d’autres endroits).
Mais tout cela ne suffit pas à décrire vraiment ce qu’il se passe dans l’Hôpital Saint Louis. Car pendant que les soignants passent d’un patient à l’autre pour procurer à tous les soins de base de prime importante, toute une « vie » un peu plus intéressante pour les patients se déroule en parallèle : Visites par les familles, les « métapelets » comme on appelle ici les dames de compagnies (ou parfois même soignante particulière), ou encore le rabbin officiel de l’hôpital pour les fêtes (dont le shabbat). Animations ponctuelles par un clown d’hôpital, des chanteuses du shabbat, deux musiciennes ou encore un chien visiteur de malades. Séances de peinture avec l’art-thérapeute, jeux cognitifs, moteurs ou sensitifs avec l’ergo et la psychomot, exercices de marches, de station debout ou d’étirements avec le kiné… Finalement beaucoup de vie dans un lieu ou l'on pourrait penser que l'on ne fait qu'attendre la mort...
Et tout de suite, la preuve en photos et en vidéos : (posez la souris sur la photo pour voir les commentaires)